Et si les contes étaient le remède infaillible contre la tristesse ? Pour fêter ses 30 ans, le Teatro Malandro s’empare d’un petit trésor italien du XVIIe siècle, Lo Cunto de li cunti. Cet ouvrage, écrit en dialecte napolitain, rassemble de savoureuses fables. Des histoires extravagantes où le grotesque se mêle au sublime.
Avec la Carte Châteauvallon-Liberté, votre 6ème place de spectacle est offerte !
Rejoignez notre groupe Facebook Covoiturage Châteauvallon-Liberté pour proposer ou demander un trajet partagé en cliquant ici.
Tarif spécial à 4 € de 19h à 2h les soirs de représentation au parking Q-Park Liberté, place de la Liberté en réservant ici.
Au sein de la famille Carnesino, un petit garçon prénommé Prince souffre d’un mal pernicieux : la mélancolie. Pour l’en guérir, ses parents ont fait appel au Docteur Basilio qui a inventé une thérapie révolutionnaire: la guérison par des contes tragicomiques. Assis à ses côtés, il se met à raconter. « Il était une fois, il était deux fois, il était trois fois ». Et nous voilà emportés dans des péripéties joyeuses, d’une maison très proprette à un cabaret. Au gré des chants des comédiens, les scènes se succèdent, les gags aussi, dans une très belle mise en scène d’Omar Porras menée tambour battant.
D’après Giambattista Basile
Conception et mise en scène Omar Porras – Teatro Malandro
Adaptation et traduction Marco Sabbatini et Omar Porras
Avec Simon Bonvin, Philippe Gouin, Marie-Evane Schallenberger, Jeanne Pasquier, Cyril Romoli, Melvin Coppalle et Audrey Saad
Assistante à la mise en scène Capucine Maillard
Scénographie Amélie Kiritzé-Topor
Composition, arrangements et direction musicale Christophe Fossemalle
Composition de la chanson « Angel » Philippe Gouin (Fabiana Medina / Philippe Gouin)
Costumes Bruno Fatalot
Assistante costumes Domitile Guinchard
Accessoires et effets spéciaux Laurent Boulanger
Assistante accessoires Lucia Sulliger
Stagiaire accessoires Viviane Mentha
Maquillages et perruques Véronique Soulier-Nguyen
Assistante maquillages et perruques Léa Arraez
Régie générale Gabriel Sklenar
Régie son Benjamin Tixhon
Régie lumière Denis Waldvogel
Couture et habillage Julie Raonison et Karine Dubois
Stagiaire couture Margaux Bapst
Création sonore Emmanuel Nappey
Co-création lumière Marc-Étienne Despland, Benoit Fenayon et Omar Porras
Tapissier Yvan Schlatter
Construction du décor Chingo Bensong, Alexandre Genoud, Christophe Reichel et Noé Stehlé
Peinture Martine Cherix et Béatrice Lipp
Chorégraphie Erik Othelius Pehau-Sorensen
Production et production déléguée TKM Théâtre Kléber-Méleau
Coproduction Théâtre de Carouge, Genève
Avec le soutien de Pour-cent culturel Migros, de la Fondation Champoud et de La Fondation suisse pour la culture Pro-Helvetia (tournée)
Photos © Lauren Pasche
Texte © Vanessa Asse
« Qui point ne voyage, rien ne voit ; qui rien ne voit, rien n’apprend ; qui se perd revient expert. »
Raconter ou écouter un conte, quel moment exaltant ! Se laisser entraîner par le vertige de l’imagination, s’engager sur le chemin de l’inconnu, se risquer à rencontrer son « âme nue » dans la forêt obscure de « soi-même ». S’aventurer dans les contrées du conte, c’est peut-être aussi l’acceptation d’une renaissance de l’âge de l’innocence. À la différence des mythes et des légendes, les contes sont proches de notre quotidien. Ces héros désœuvrés, ces femmes amoureuses, ces êtres égoïstes, timides, ambitieux, paresseux ou maladroits… Ils parlent de nous, nous réinventent, nous révèlent ; ils chantent nos vies, nos désirs ; ils excitent notre fantaisie, nous ramènent à la source même de nos émotions pour mieux éveiller l’enfant rêveur qui sommeille en nous.
L’espèce humaine est la seule qui prie, qui mente, qui raconte et transforme verbalement ses réalités en rêves et ses rêves en réalité. C’est au théâtre que le verbe peut être incarné, et que le conte se fait corps, matière qui respire et qui chante. Grâce au pouvoir du théâtre et au fil délicat et chaleureux de la parole, la voix humaine tisse – sous la lumière des étoiles ou dans l’obscurité d’une grotte – le corps invisible d’un magicien, d’un génie prisonnier, d’un dragon chanteur, d’une armée de chevaliers ailés, d’un arbre qui pleure des larmes d’or ou d’un fleuve qui danse parce qu’il est ensorcelé. Bruno Bettelheim nous dit que les contes « nous révèlent notre véritable identité », ils sont une boussole qui nous montre les modèles du comportement humain, « l’ami de la sagesse ». Tel un maître d’apprentissage, ils nous aident à comprendre le monde, à nous orienter pour affronter la vie et ses humeurs.
Les mythes et les légendes ont souvent inspiré les créations du Teatro Malandro, comme ce fut le cas pour Ay ! Quixote, Amour et Psyché ou Noce de Sang. […] Aujourd’hui, il s’empare de l’âme populaire, de la brutalité poétique de la parole paysanne, de l’héritage de plusieurs siècles de tradition orale rassemblé par Giambattista Basile, l’un des plus grands « aventuriers honorables », dans son ouvrage Lo Cunto de li cunti, Le conte des contes, ou Il Pentamerone. Cet ouvrage écrit à l’origine en dialecte napolitain, en 1634 est un trésor de fables recueillies à Naples, en Toscane, en Sicile et à Venise dans les tavernes et les rues de l’Italie du XVIIe siècle. Proverbes, formules magiques, musique, allocutions païennes… ces fables que racontent les femmes et les hommes du peuple sont d’une extravagance verbale savoureuse ! La nature y est personnifiée, les descriptions amoureuses et les salves d’insultes y constituent une source d’inspiration inépuisable. C’est une ribambelle d’histoires où le grotesque se mêle au sublime. Ces récits sont la source même à laquelle ont puisé – on l’ignore trop souvent – des auteurs célèbres tels que Perrault, les frères Grimm, Alan Poe, Irving et bien d’autres à travers les siècles. Ceux-ci les ont réinterprétés, adoucis, tempérés pour nous offrir les versions qui hantent nos mémoires.
Il Pentamerone, lui, est un diamant brut, intact, cruel, immensément drôle, radical, entier et puissant. Il est Le Conte des contes, dont les histoires incantatoires nous capturent, nous transportent. Nous, nous allons les chanter. Do-ré-mi – Le Conte des contes – fa-sol-la-si ! C’est à moi-même et à Marco Sabbatini, fidèle compagnon de route, que revient la tâche de convoyer l’univers de Basile dans celui du Teatro Malandro, ouvert à la métamorphose, à la réinvention, au fantasque, à l’inattendu, à l’amour de l’illusion et de la vérité à travers le prisme du moderne et du contemporain. Une adaptation infidèle à la lettre pour être mieux fidèle à l’esprit, sans rien sacrifier de la drôlerie, de la cruauté et de la sensibilité de personnages dans lesquels nous pouvons nous reconnaître toutes et tous, dans notre rêve – si baudelairien – d’« enfance retrouvée à volonté ». Une enfance que l’univers du conte nous permet de vivre ou de revivre en nous conviant à un beau voyage où grands et petits se rejoignent dans un même élan d’émerveillement et de lucidité. […] Au plateau, sept comédiens-musiciens incarneront le chœur des conteurs. Avec eux, le public s’engagera dans un pèlerinage musical, un voyage initiatique et facétieux de la ville à la forêt, des ogres aux princes, des plus grandes bassesses à la suprême élégance du cœur. Mon enthousiasme est grand à l’idée de partager avec vous ces histoires. C’était aussi une manière merveilleusement théâtrale de célébrer les 30 ans du Teatro Malandro.
Omar Porras
Brigitte Prost : Quelle fut la genèse de cette création ?
Omar Porras : Je cherchais du côté du Grand-Guignol. Je suis revenu à la source du Système du Docteur Goudron et du Professeur Plume d’André de Lorde, à savoir Les Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe. J’y ai retrouvé l’aspect grand-guignolesque et la cruauté que contient le conte. J’ai alors découvert le texte de Giambattista Basile, Le Conte des contes, et suis alors tombé dans le labyrinthe de ses récits. J’y ai retrouvé la Belle Endormie dont le baiser édulcoré cache un viol ; la jeune fille qui se fait couper les mains pour échapper à l’inceste… Je me suis laissé attirer par la curiosité de ce Pentaméron.
B. P. Nous retrouvons dans cette création tous les ingrédients du conte (un univers avec des rois, des reines, des princes et des princesses, des fées, des magiciens, des animaux qui parlent, des ogres et ogresses), des situations spécifiques (avec épreuves, transgressions et enchantements…), des temporalités ritualisées (parfois autour de chiffres) et des espaces hyperboliques (la forêt, la mer) pour un savoureux mélange du réalisme et du merveilleux, afin « d’expulser les pensées ennuyeuses et de prolonger la vie » (comme le dit Giambattista Basile), en un jeu de perpétuel engendrement symbolique de la parole.
O. P. Les contes représentent comme une toile blanche, comme la toile d’un peintre qui a une infinité de significations selon l’endroit d’où on la regarde, la façon dont on la tourne. C’est sa richesse et en même temps son mystère, son vertige. Le Conte des contes, c’est une histoire gigogne qui contient tous les contes, ou plutôt c’est L’Aleph de Borgès, l’infini. C’est à la fois le sentier et la bibliothèque de Babylone.
B. P. Les contes, comme les mythes, font partie de ce pays des Licornes que vous avez adopté et que vous évoquiez lors d’une conférence TED en 2012 : « ce lieu où l’impossible est possible, où l’ordinaire devient extraordinaire, ce lieu où sont fécondées les semences que forme chacun de nos rêves, ce lieu qui s’appelle la scène. » Et en même temps, il y a des éléments très réalistes dans les accessoires réalisés.
Laurent Boulanger : Des objets créent un effet de réel. On a cherché un truc un peu violent. Pour crever le côté illustratif. Au début il n’y avait pas trop d’incarnation en scène. On avait l’impression de faire une toile de fond avec laquelle les comédiens ne jouaient pas… Après avoir proposé différentes carcasses (un immense lièvre, des quartiers de bœuf, une chèvre…), c’est un chien écorché, une bête horrible, qui s’est invité à table et a été instantanément dévoré. Cet élément réaliste a donné l’élan de la première scène – de même que le sang, les viscères, la cervelle, les boyaux… […]
B. P. Du point de vue scénographique, comment définir le travail mené ?
Amélie Kiritzé-Topor : Très rapidement, l’on s’est dit que nous aurions nos propres cintres de façon à tourner très facilement et partout. Il nous faut quatre points d’accroche. Les rideaux sont ainsi des éléments importants, très efficaces pour donner des moments de transition aux spectateurs et permettre des effacements : comme nous avions des histoires accolées les unes aux autres, nous avions besoin d’une vénitienne et d’un rideau qui vient de cour à jardin, qui efface ce qui précède et permet de passer à autre chose… […] La scénographie nous entraîne dans les pièces d’une maison, comme celle d’un Cluedo : la chambre, le boudoir, le salon, la cuisine… Un sol (innovation en résine), des objets symboliques des contes et de la maison (une grande table, des bougeoirs, un fourneau…) sont retravaillés de manière très picturale, inspirés par l’artiste Cy Trombly. Ces différents univers glissent sur le plateau. À la fin, on change de genre. Les personnages sont transfigurés : on est au cabaret, avec strass et paillettes. C’est comme si on rentrait dans un conte et qu’on n’en sortait plus.
B. P. Des sujets très contemporains sont abordés dans cette création, aussi bien celui du transgenre, que la question de l’écologie et la parole est grandement donnée aux femmes. La femme est une figure déterminante dans les contes que vous avez retenus.
O. P. Oui, c’est à travers la femme que le personnage du Prince guérit – c’est ce que dit le conteur : ce dernier raconte que la femme véhicule la guérison, est aimante, victime et héroïque, capable de traverser l’adversité. D’abord réticent et frondeur, Prince finit par se laisser entraîner dans une quête initiatique qui le conduit à explorer son identité et à découvrir la féminité sous toutes ses formes. Notre spectacle est une métaphore qui doit ouvrir à d’autres métaphores, qui doit donner naissance à une ribambelle de métaphores.
Propos recueillis d’Omar Porras les 24 février et 24 septembre 2020, d’Amélie Kiritzé-Topor le 29 septembre 2020, de Laurent Boulanger le 5 octobre 2020 et croisés par Brigitte Prost.
Revisitant d’anciennes versions de contes célèbres, la pièce entraîne le public dans un pèlerinage initiatique et facétieux. Les sept comédiens-musiciens nous embarquent dans cette fresque malicieuse et jubilatoire. Un récit où l’on croise des ogres et des princes et où se révèlent aussi bien les plus grandes bassesses de l’homme que la suprême élégance de son cœur. Un univers dans lequel les grands méchants ne sont pas forcément ceux que l’on croit… Sceneweb
« Le Conte des contes » mêle tambour battant l’univers glaçant de Tim Burton au glamour du cabaret.
Le Temps
La mise en scène d’Omar Porras rappelle l’importance de rêver et de faire rêver dans un monde qui pousse à la mélancolie. […] La chorégraphie des répliques, des mouvements et des lumières est d’un rythme et d’une précision sans faille. Le spectacle est une partition complexe, jouée à la fois par les corps, les projecteurs, la scénographie et la musique, pour produire une danse d’effets spéciaux. Porté par des artistes aux multiples talents, à la fois comédiens, musiciens et danseurs, le Conte des contes emmène son public dans un monde plein de contrastes, parfois violent, parfois doux, mais toujours magique. Le Courrier
Ayant grandi en Colombie, Omar Porras arrive à Paris à l’âge de vingt ans, en 1984. Il fréquente d’abord deux ans durant la Cartoucherie de Vincennes, découvre, fasciné, le travail d’Ariane Mnouchkine et de Peter Brook, fait un bref passage dans l’École de Jacques Lecoq, travaille avec Ryszard Cieslak, puis rencontre Jerzy Grotowski – ce qui va l’inciter à s’intéresser aux formes orientales (Topeng, Kathakali, Kabuki). C’est donc tout naturellement que, lorsqu’il arrive à Genève en 1990 et qu’il fonde le Teatro Malandro, il affirme une triple exigence de création, de formation et de recherche qui reste la sienne aujourd’hui.
Comme metteur en scène, son répertoire puise autant dans les classiques avec Faust de Marlowe (1993), Othello et Roméo et Juliette de Shakespeare (en 1995 pour l’un et – en japonais – en 2012 pour l’autre), Les Bakkhantes d’Euripide (2000), Ay ! QuiXote de Cervantès (2001), El Don Juan de Tirso de Molina (en français en 2005; en japonais en 2010), Pedro et le commandeur de Lope de Vega (2006), Les Fourberies de Scapin (2009), Amour et Psyché (2018), ainsi que dans les textes modernes et contemporains avec La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt (1993 ; 2004 ; 2015), Ubu Roi d’Alfred Jarry (1991), Noces de sang de Garcia Lorca (1997), La Dame de la mer d’Ibsen (2013), ou encore Ma Colombine de Fabrice Melquiot (2019). Parallèlement au théâtre, il explore l’univers de l’opéra avec L’Elixir d’amour de Donizetti (2006), Le Barbier de Séville de Paisiello (2007), La Flûte enchantée de Mozart (2007), La Périchole (2008) et La Grande Duchesse de Gérolstein d’Offenbach (2012), Coronis de Sebastián Durón (2019), mais il s’est aussi aventuré sur le terrain de la danse avec Les Cabots, une pièce chorégraphique signée Guilherme Botelho, de la Cie Alias (en 2012).
Il fut par ailleurs l’interprète de Krapp dans La Dernière Bande de Beckett mise en scène par Dan Jemmett (en 2017) comme du personnage autofictionnel de Ma Colombine (en 2019). Au fil de ses créations, Omar Porras cherche à retrouver les sources des œuvres dont il se saisit, comme l’archéologue décrypte le palimpseste, au-delà de la fable le mythe, la parole archaïque, la matrice universelle. Depuis juillet 2015, il dirige le TKM Théâtre Kléber-Méleau à Renens, en Suisse.
Plusieurs récompenses jalonnent son parcours : sa Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt a obtenu le Prix romand des spectacles indépendants en 1994, et Pedro et le commandeur de Lope de Vega s’est vu doublement nommé aux Molières 2007 dans les catégories « Meilleur spectacle public » et « Meilleure adaptation ». Cette même année, la Colombie lui a attribué l’Ordre National du Mérite, et, en 2008, la Médaille du Mérite Culturel. En 2014, Omar Porras a reçu le Grand Prix suisse de théâtre, l’Anneau Hans Reinhart, décernée par l’Office fédéral de la culture, pour l’ensemble de sa carrière.