Née de la nécessité de favoriser l’insertion professionnelle des anciens élèves de la section Acting de l’école Kourtrajmé, la compagnie éponyme s’est associée pour sa première création au metteur en scène Cyril Cotinaut. De Montfermeil à Troie, les comédiennes et comédiens s’approprient Racine et réécrivent Andromaque.
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Nous y retrouvons tout ce qui fait la puissance de cette tragédie. Les amours impossibles entre Oreste, Hermione, Pyrrhus et Andromaque. Leurs confidents qui, à la façon d’un chœur antique, tentent d’apaiser les tensions et appellent à la raison. Les paroles assassines et les punchlines.
Tout en gardant intacte l’histoire, les comédiens la complètent avec leurs propres partitions, reflets de leur vie et de celle de leurs personnages, tissant un lien entre les deux époques. Et ces figures d’un autre temps prennent soudain chair dans notre présent.
D’après Andromaque de Jean Racine
Mise en scène Cyril Cotinaut
Avec Habib Adda, Dayana Bellini, Wacil Ben Messaoud, Moussa Cissé, Vera Cupic-Vojnovic, Gradi Kumbi, Olivia Kuy et Kahina Lahoucine
Lumières Andrea Vida
Collaboration artistique Sébastien Davis et Ludivine Sagnier
Directrice de Production Nedjma Hachemi
Production Compagnie Kourtrajmé
Coproductions Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon / Château Rouge, scène conventionnée d’Annemasse / Théâtre Jean-François Voguet, Fontenay-sous-bois / Ateliers Médicis, Clichy-Montfermeil
Avec le soutien de l’ADAMI et du CENTQUATRE-Paris
Photos © Tahah El Aissi © Cyrielle Voguet
Texte © Vanessa Asse
Face à l’inquiétude que génèrent les tensions entre communautés, nations et individus, la culture et le spectacle vivant ont probablement un rôle important à jouer en créant des passerelles. Passerelles entre les cultures, entre les langues et langages, entre les modes de vie et autres signes de représentation, d’appartenance. Car au-delà des apparences, nous restons persuadés que les distances sont plus courtes qu’elles n’y paraissent. Dès lors, toute expérience artistique visant à montrer que l’autre est un proche, que ses désirs, aspirations et peurs nous sont communs, est essentielle.
Mettre en relation Jean Racine, dramaturge français du 17ème siècle, auteur de tragédies classiques versifiées, et les jeunes acteurs de la Compagnie Kourtrajmé relève autant du cliché que de la nécessité. Car de prime abord, la distance qui les sépare – langue, thèmes, statut social… – peut sembler infranchissable. Et pourtant…
En utilisant d’un côté une méthode de répétition qui privilégie le sens avant la lettre, l’organicité avant la règle, la liberté avant la précision, et d’un autre côté en choisissant Andromaque, une pièce qui met en scène des personnages en proie à leurs désirs violents, leur impuissance et leurs échecs, la rencontre devient évidente, les corps, personnalités, singularités des acteurs absorbent la syntaxe racinienne et ces personnages d’un autre temps, d’une autre époque, d’autres mœurs prennent chair dans la réalité du présent.
Dans un espace nu, quelques chaises sur le côté, à peine quelques accessoires, les acteurs entrent sur scène comme on entre sur un ring : pour en découdre, par la parole assénée, par les punchlines dont Racine a le secret, par l’incarnation la plus concrète qui soit. Ça et là quelques écrans et caméras, car chez ces Princes Grecs comme de nos jours, la représentation est importante. Le style compte, il faut en imposer, montrer qu’on a du charisme, de la répartie, de l’humour, on s’érige soi-même comme modèle tout en confondant son opinion avec la vérité. Montrer à tous qui on est et de quoi on est capable, par amour, par honneur ou par vengeance vaut plus que le reste. Voilà un des facteurs qui accélère la tragédie : il n’y a pas d’intimité dans Andromaque, les personnages – comme les acteurs – sont sans cesse observés par le peuple, analysés, jugés en temps réel. Il est interdit de faillir, interdit de montrer qu’on s’est trompé. Même les faiblesses livrées sous forme de confidence face à la caméra n’existent que pour attendrir et influer sur l’opinion publique.
Ainsi, nous verrons Oreste désirer Hermione ; Hermione qui hait autant Pyrrhus qu’elle ne l’aime ; Pyrrhus maître des lieux prêt à toute violence pour posséder la seule femme qu’il ne peut avoir, Andromaque ; et enfin Andromaque, une femme captive, dernière représentante d’un peuple soumis à un génocide. Leurs confidents, à la façon d’un chœur antique sage et pondéré, tenteront d’apaiser les frustrations, de consoler les egos mis à mal, d’appeler à la mesure, à la raison et même à l’amour – de l’autre avant l’amour de soi-même…
Mais rien n’y fera. Une tragédie reste une tragédie et quels que soient les efforts pour s’y soustraire, le sang coulera et la détresse d’un Oreste assassin et abandonné résonnera comme un écho à l’immense solitude de l’être humain d’hier et d’aujourd’hui.
Née de la volonté d’accompagner les élèves de la Section Acting de l’École Kourtrajmé-Montfermeil vers un
parcours professionnalisant, la Compagnie Kourtrajmé a vu le jour en avril 2022 sous l’impulsion de notre présidente, Ludivine Sagnier et de Sébastien Davis, metteur en scène.
Dès sa naissance dans les années 90, le collectif Kourtrajmé est pluridisciplinaire par essence. Des artistes en tous genres se sont regroupés pour exister au sein d’un système qui ne voulait pas d’eux. En appliquant la technique du pied-dans-la-porte, ils ont su progressivement faire entendre leurs voix. 35 ans plus tard le collectif est toujours là, plus vivant que jamais et avec son esprit intact. Au sein d’écoles, dans le cinéma, la mode, la musique, le théâtre… l’idée reste la même : celle d’une représentativité plus juste de notre population au sein des arts.
Cette valeur, simple en apparence, est en réalité lourde de sens car elle implique de nous remettre en question en permanence. En donnant voix et corps à ceux pour qui la culture n’était qu’un monde lointain et inatteignable, nous interrogeons nos façons de penser et de raconter des histoires. Le théâtre a sans cesse besoin de nouveaux auteurs, de nouveaux récits, de nouvelles formes, afin de mieux refléter le monde dans lequel nous vivons, dans toute sa complexité. L’ambition de la Compagnie Kourtrajmé est celle de promouvoir cette complexité au moyen de spectacles vivants ancrés dans leur époque et d’attirer au théâtre de nouveaux publics désireux de voir cette diversité s’exprimer.
Après une formation d’acteur au Conservatoire de Nancy puis de mise en scène au sein de l’ENSATT sous la direction d’Anatoli Vassiliev, Cyril Cotinaut crée le TAC.Théâtre (Travail de l’Acteur en Création. Théâtre). Il s’associe alors à Sébastien Davis pour mettre en scène L’École des Bouffons de Ghelderode (Prix Jeunes Metteurs en Scène Théâtre 13 Paris), Timon d’Athènes de Shakespeare et une création, Le Casque et l’Enclume.
De son côté, il met en scène une trilogie antique Les enfants d’Atrée (Agamemnon d’Eschyle, Electre de Sophocle, Oreste d’Euripide), Bérénice de Racine, Hamlet Requiem d’après Shakespeare entre autres.
La plupart de ces spectacles sont soutenus et joués dans des CDN (Nice, Nancy, Thionville), Scènes Nationales et Conventionnées (Cavaillon, Vandoeuvre, Mougins, Frouard, Carros…). Il sera notamment artiste associé au Théâtre National de Nice aux côtés d’Irina Brook et artiste compagnon de La Garance – Scène Nationale de Cavaillon.
En tant que dramaturge, il collabore dans des productions du TNN (Le 20 Novembre, Lars Noren), du Théâtre National de Belgique/Festival de Liège (Un Loup pour l’Homme de Violette Pallaro), du Théâtre Corps Beaux – Martinique (Manteca, Prix Coup de cœur de la presse Avignon Off).
En tant qu’acteur, il joue dans plusieurs productions du Théâtre National de Nice (L’Impromptu de Versailles ; Dissonnances Jeanne d’Arc ; Les Fourberies de Scapin).
Titulaire du Diplôme d’État – Enseignement théâtre, il a enseigné en Conservatoires (Nice, St-Denis-de-la-Réunion et Avignon dont il a été un temps le coordinateur pédagogique du pôle théâtre), Écoles Supérieures (ERAC, ESNAM) et Universités (Aix-Marseille, Nancy, Nice, Dijon) et dirige de nombreux stages et ateliers (Théâtre National de Nice, Université des Beaux-Arts de Canton – Chine…).