Les Égarés
Musique

Ballaké Sissoko, Vincent Ségal, Vincent Peirani, Émile Parisien

Les Égarés, c’est un espace de jeu, un lieu de vie musical, un asile poétique habité par deux binômes qui, depuis des années, excellent dans l’art de croiser les sons et de transcender les genres : Ballaké Sissoko et Vincent Ségal d’un côté, Vincent Peirani et Émile Parisien de l’autre. Avec ces magiciens-là, 2+2 ne font plus 4, mais 1.

Ballaké Sissoko, Vincent Ségal, Vincent Peirani, Émilie Parisien
Ballaké Sissoko, Vincent Ségal, Vincent Peirani, Émilie Parisien
Lieu
  • Châteauvallon
  • Théâtre couvert
Accessibilité
  • Pour tous
  • Dates Durée estimée 1h30
  • samedi 14 décembre 2024 20:00
Tarifs
  • Plein tarif 30 €
  • Tarif adulte avec la carte Châteauvallon-Liberté 20 €
  • Tarif partenaire (CSE et Associations culturelles partenaires) 20 €
  • Tarif - 30 ans 15 €
  • Tarif - 18 ans 10 €
  • Tarif solidaire 5 €

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Informations pratiques

Car c’est bien une unité d’esprit et une fluidité du son que créent ensemble ces individualités bien trempées, méprisant toute compétition d’ego pour se mettre au service du bien musical commun. Ni jazz, ni traditionnel, ni classique, ni avant-gardiste, mais un peu de tout cela à la fois, ce quartet fonde un territoire poétique indépendant où l’oreille est l’instrument-roi. Où la virtuosité s’exprime d’abord dans l’art d’être complices. Où le si simple et si grandiose désir d’écouter l’autre aboutit à la naissance d’un singulier chant à quatre voix.

Avec Ballaké Sissoko (kora), Vincent Ségal (violoncelle), Vincent Peirani (accordéon) et Émile Parisien (saxophone)

Production Anteprima Productions
Label Nø Førmat!

Photos © Gassian
Texte © Vanessa Asse

Ni jazz ni traditionnel, ni chambriste ni avant-gardiste, mais un peu de tout cela à la fois, Les Égarés est cet album où l’oreille est l’instrument-roi, où la virtuosité s’exprime dans l’art d’être complice, où le simple et grandiose désir d’écouter l’autre aboutit à la naissance d’un splendide chant à quatre voix.

Tout part d’une rencontre au sommet – en haut d’une colline qui surplombe Lyon. Ce soir de juin 2019, dans le cadre du festival Les Nuits de Fourvière, on s’apprête à célébrer les quinze ans du label NØ FØRMAT, dans un bel écrin de pierres romaines à ciel ouvert. Pour l’occasion, Vincent Segal est le maître de cérémonie et tient salon (de musique), entouré de convives de choix : parmi eux figurent déjà Ballaké Sissoko, Vincent Peirani et Émile Parisien. Entre les participants, un pacte a été signé : aucune répétition ne doit précéder ce qui s’annonce comme un moment de création spontanée. Mais comment réfréner de tels inspirés, animés par le désir de converser en musique ? L’après-midi, sous une tonnelle qui les protège du cagnard, les voilà qui, pour la seule beauté du geste et la grandeur du plaisir, se mettent à jammer. Et la musique, alors, coule comme source, limpide et fraîche. C’est dans le souvenir de ce jaillissement qu’a germé l’idée de composer le quatuor des Égarés. Et c’est à cela qu’aura ressemblé l’enregistrement de l’album : un partage spontané des élans et des savoirs.

Il n’y a qu’une promesse que ce disque n’a pas pu exaucer : celle, caressée un temps par Vincent Segal, d’enregistrer à Bamako chez son complice Ballaké, comme au temps de leur divin album Chamber Music. L’extrême tension qui règne au Mali a eu raison de ce rêve, et c’est finalement à Gap que, une semaine durant, les quatre musiciens ont installé leur atelier de création.

Dehors, la météo était très instable. Dans le studio, elle a été au grand beau, tout de suite. Mais ce n’était pas le beau fixe pour autant : dès les premiers échanges, tout s’est mis en mouvement et en vibration. Normal : aucun de ces quatre affranchis n’aime être emprisonné – que ce soit dans un rôle ou dans un type de jeu ou de son auquel son instrument serait condamné. Dans sa besace, chacun a apporté une poignée de diamants bruts, qu’il a soumis au groupe. À l’épreuve du feu commun, dans le creuset naturel du live acoustique, ces gemmes ont pris forme neuve, se sont sublimés : ils ont très vite fourni la matière d’un authentique butin collectif. De l’or musical, fondu dans un singulier alliage de timbres, de touchers, de souffles et de phrasés, dont le motif à l’unisson qui ouvre l’album donne d’emblée la formule de base alchimique.

Il y a ainsi Ta Nye et Banja, merveilles mandingues qui sont comme les bornes de départ et d’arrivée de la route tracée parcourue par Les Egarés : deux thèmes de kora que les contrechants et reprises des autres instruments enrobent et déplacent insensiblement, avec cet engagement dans la douceur, ce souci d’accompagner au plus juste qui est l’apanage des musiciens d’expérience – écoutez donc l’introduction follement aérienne que signe Émile Parisien sur Banja. Un parfum d’Arménie enrobe les premières mesures d’Izao, pièce qui glisse vers la Transylvanie via la Turquie, et semble orchestrer par endroits de troublantes noces entre kora et Bartok. Soutenu par une basse lancinante, Amenhotep enclenche une lente mais sûre spirale ascensionnelle, transe coltranienne que soulèvent les souffles croisés de l’accordéon et du sax. Autour du thème de Dou, les quatre hommes prennent le relais comme s’il s’agissait de garder un feu, d’entretenir la mémoire d’un blues ancestral en lui donnant l’enivrant balancement d’une berceuse. Tout en majesté et en mystère, Nomad’s Sky s’ouvre comme une plante aux fragrances capiteuses, trouvant de quoi étourdir durablement les sens dans la nervure obstinée de la basse, jouée au cello, et le déploiement progressif des motifs instrumentaux.

La Chanson des égarés déroule quant à elle une de ces mélodies irrésistiblement cadencées
qu’on se fredonne intérieurement quand, comme Vincent Segal, “on marche sans savoir où l’on va, en se laissant aller au plaisir d’être paumé” – plaisir qui, à lui seul, résume la philosophie du disque. Les thèmes empruntés à des sources extérieures sont pareillement transcendés. Esperanza, standard de l’accordéoniste Marc Perrone, sonne comme une cumbia à la fois alerte et douce, sa mélodie qui passe de main en main tissant une étoffe que l’auditeur porte à même le coeur. Dans Time Bum, tiré du répertoire de Bumcello, c’est l’illusion d’entendre un combo de cuivres qui prend corps, big band au groove ultra-serré que la basse au cello ne fait que renforcer. Dans Orient Express, reprise haletante tiré du grand-oeuvre de Joe Zawinul, immense dresseur de ponts entre Europe, Afrique et Orient, le quatuor, sans recours à l’électricité ni à un feu roulant de percussions, réussit à conserver l’ADN de l’original tout en recomposant totalement ses tissus, sa force vitale, son groove infectieux.

Sans la moindre démonstration, les quatre complices réalisent ainsi toute une série de prouesses qui ne sont jamais affichées comme telles. Les Egarés est ce disque sans voix soliste qui, pourtant, ne cesse jamais de chanter. Ce disque sans batterie ni percussions qui, pourtant, ne cesse jamais de faire entendre une très humaine et très sensible pulsation. Ce disque aux échanges si harmonieux que, par séquences, l’oreille, saisie par quelques illusions auditives (n’y aurait-il pas ici un balafon, et là un harmonium ?), en arrive elle-même à se perdre voluptueusement, à ne plus distinguer qui fait quoi dans l’intime entrelacement des voix. Ce disque qui, tout en repoussant la banalité, ne cesse d’embrasser l’évidence, dans un art du décadrage amoureux et de la dérive volontaire dont l’élégance audacieuse renvoie à d’autres grands égarés comme Don Cherry ou encore les musiciens sans matricule du Penguin Cafe Orchestra. “Je n’ai jamais enregistré un disque dans une telle atmosphère, souligne Vincent Peirani. Aucun de nous n’a été dans la “perf”, si bien que la musique raconte beaucoup de choses sans jamais se la raconter. Aucun d’entre nous ne détenait la vérité : nous la trouvions ensemble.”

Au passage, Les Egarés rappelle tout ce que l’esprit de concorde peut avoir de frondeur, et combien l’art de jouer en si belle intelligence peut engendrer une manière extrêmement subtile de mettre le feu aux poudres. Contrairement à une idée reçue un peu pénible, vivre en harmonie ne signifie pas s’astreindre fatalement à des compromis pénibles, consensus mous et autres lénifiantes routines : quand elle le veut, la paix déménage. Et avec ces quatre-là, elle le veut bien, elle le veut tout le temps. Dans Les Égarés, elle soulève même des montagnes, recomposant le paysage musical pour tirer des lignes de fuite d’une beauté inouïe.