L’affaire de la dépeceuse de Savigny fascina Marguerite Duras. L’autrice s’en inspira pour écrire le roman L’Amante anglaise, puis une pièce du même nom. Avec Sandrine Bonnaire, Jacques Osinski adapte ce texte dans un huis clos puissant. Véritable thriller psychologique à la Agatha Christie.
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C’est l’histoire d’une femme incapable d’expliquer son geste meurtrier. Un jour, Claire tua sa cousine sourde et muette. Elle découpa son corps avant de s’en débarrasser sous un pont. Pourquoi a-t-elle commis un tel crime ? Sur scène, trois personnages nous aident à mener l’enquête : Claire, son époux Pierre et l’interrogateur. Pour comprendre l’impensable, ce dernier questionne sans juger tandis que la meurtrière reste évasive et que son compagnon la fait passer pour folle. Au plus près des spectateurs, Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens et Grégoire Oestermann entretiennent une tension au fil de leurs déclarations et de leurs silences. Et avec eux, nous sondons l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus sombre et de plus effrayant.
Texte Marguerite Duras (texte publié aux Éditions Gallimard)
Mise en scène Jacques Osinski
Lumières Catherine Verheyde
Costumes Hélène Kritikos
Dramaturgie Marie Potonet
Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens et Grégoire Oestermann
Création le 19 octobre 2024 Théâtre de l’Atelier
Production Théâtre de l’Atelier en co-production avec L’Aurore Boréale
Coproductions Châteauvallon-Liberté, scène nationale / Théâtre Montansier / Versailles /
La Compagnie L’Aurore boréale est conventionnée par la DRAC-Ile de France
Photos © Pierre Grosbois
Texte © Vanessa Asse
S’inspirant d’un fait divers (le meurtre de son mari par Amélie Rabilloud, qui dépeça le cadavre et en évacua les morceaux un par un en les jetant depuis un pont dans différents trains), Marguerite Duras écrivit une première pièce les Viaducs de la Seine-et-Oise puis un roman L’Amante anglaise avant de transformer à nouveau le roman en pièce de théâtre. Elle en vint ainsi à trouver une forme nouvelle et radicale sans aucun décor ni costume. C’est le théâtre pur.
Il s’agit de comprendre l’incomprenable. Dans le fait divers, Amélie Rabilloud a tué un mari tyrannique. Dans la pièce de Duras, le mari reste bien vivant. C’est une cousine sourde et muette, Marie-Thérèse, que Claire Lannes assassine sans raison et l’on peut penser qu’en tuant la sourde muette, c’est tout ce qu’elle ne peut dire que Claire tue. Nous sommes dans un théâtre sans faire semblant d’être ailleurs. Nous sommes dans un théâtre pour essayer de comprendre ce qu’un tribunal échoue à comprendre.
Trois voix, celles de L’Interrogateur, celle de Pierre Lannes, celle de Claire Lannes. Le premier à entrer en scène est Pierre. Une fois qu’il est apparu monte depuis le public la voix de l’interrogateur. Il est le passeur, celui qui, comme Duras elle-même, « cherche qui est cette femme ». Il interroge sans jamais juger, entièrement tendu dans la volonté de comprendre, d’être dans la tête de l’autre, avec une ferveur, un absolu presque religieux. Pour cela il va interroger Pierre tout d’abord, Pierre que Marguerite Duras décrit dans une interview comme la quintessence du petit bourgeois haïssable mais qui existe tout de même, comme malgré la volonté de son autrice, Pierre qui répond avec matérialisme aux questions qu’on lui pose, puis Claire elle-même. Claire est de bonne volonté. Elle aussi cherche à comprendre. Mais elle ne sait expliquer.
Ce n’est pas un hasard, je crois, si j’arrive à Marguerite Duras après avoir beaucoup arpenté l’œuvre de Beckett. Ils ont en commun le questionnement sur la langue, un certain rapport de leurs personnages à l’attente et à l’enfermement dans un lieu aussi. Lisant ces mots écrits en 1960 par Serge Young dans la Revue générale belge à propos des personnages de Marguerite Duras, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils pourraient s’appliquer aux personnages de Beckett : « Ils sont devant nous et ils parlent (…) Ils parlent, comme nous parlons, chacun pour soi et pour tous les autres, tantôt indifférents et tantôt soucieux de se faire entendre. (…) La langue à la fois familière et très élaborée qu’elle leur prête est le moyen de son art. (…) toutes les femmes, tous les hommes que Marguerite Duras met en scène, en situation, se servent de ce français « traduit du silence », de ce français à la fois ferme et balbutiant, approximatif, de cette approximation qui tient à l’irréfragable distance entre la langue et la vie. »
J’ai envie d’aborder Marguerite Duras comme un classique qu’elle est désormais devenue. En m’attachant uniquement au texte. C’est ce français « traduit du silence » que j’ai envie de chercher en mettant en scène L’Amante anglaise. C’est pour cela que j’ai demandé à Sandrine Bonnaire d’être une incarnation moderne de Claire Lannes, à la fois opaque et transparente. Elle connait cette intrication des mots et du silence qui fait qu’un comédien est juste. À ses côtés, Frédéric Leidgens, qui fut Hamm dans ma précédente mise en scène, Fin de partie, sera l’interrogateur, celui qui « cherche » sans jamais juger, d’une manière presque « religieuse » comme le dit Marguerite Duras, avec la seule volonté de comprendre ce qui n’est pas compréhensible, et Grégoire Oestermann dont j’aime la dangereuse douceur sera Pierre Lannes.
Dans une interview à Claude Sarraute pour Le Monde, Marguerite Duras explique ainsi son titre : « Il s’agit de la menthe anglaise, de la plante, ou , si vous préférez, de la chimie de la folie. Elle l’écrit avec l’apostrophe. Elle a tout désappris, y compris l’orthographe. » Ce mot de chimie m’intéresse, « chimie de la folie », alchimie. Et plus que la folie de Claire, la chimie des rapports des uns avec les autres, sur scène et dans la salle. Comment en partant de tout autre chose (un fait divers) faire advenir le théâtre, au sens fort du terme, dans une sorte de révélation. Dans la vraie vie, la vérité de Claire Lannes ne peut être entendue. Sur scène, on peut espérer la saisir, être au bord de celle-ci et presque pouvoir l’atteindre.
Marguerite Duras termine sa pièce sur ces mots de Claire : « Moi, à votre place, j’écouterais. Ecoutez-moi… je vous en supplie… ». Et c’est comme une réponse à tout ce qui n’est pas exprimable dans la vraie vie. Au tribunal, on n’écoute pas. Au théâtre, si. Et c’est toute l’ambivalence de l’humanité que l’on peut alors saisir. Le théâtre est l’anti-tribunal. C’est un lieu où l’on écoute, où l’on ne peut faire autrement qu’écouter, le silence et les mots qui achoppent.
En écrivant L’Amante anglaise, c’est l’âme humaine que Marguerite Duras replace au centre du théâtre.
Il fonde à 23 ans sa première compagnie. Dès ses débuts, son goût le porte vers les auteurs du Nord tels Knut Hamsun (La Faim, avec Denis Lavant en 1995), Ödön von Horváth (Sladek soldat, de l’armée noire en 1997), Georg Büchner (Léonce et Léna en 2000), Stig Dagerman (L’Ombre de Mart en 2002), Strindberg (Le Songe en 2006) ou Magnus Dahlström (L’Usine en 2007). Parallèlement il aborde également le répertoire classique avec Richard II de Shakespeare en 2003, Dom Juan de Molière en 2005 et à nouveau Shakespeare avec Le Conte d’hiver en 2008.
De 2008 à 2013, il dirige le Centre dramatique national des Alpes à Grenoble. Il s’attache à y mettre en avant un répertoire très contemporain avec Le Grenier du japonais Yôji Sakaté (2010), Le Moche et Le Chien, la nuit et le couteau de Marius von Mayenburg (toutes trois jouées au Théâtre du Rond-Point) ou encore Mon prof est un troll de Dennis Kelly (2012).
Au printemps 2009, il met en scène Woyzeck de Georg Büchner. Cette pièce initie un cycle autour des dramaturgies allemandes la Trilogie de l’errance qui se poursuit en écho par la présentation d’Un fils de notre temps d’Ödön von Horváth et par Dehors devant la porte de Wolfgang Borchert, repris au Théâtre national de Strasbourg. Durant ces années, il créera encore Le Triomphe de l’amour de Marivaux (2010), Ivanov d’Anton Tchekhov (2011), George Dandin de Molière (2012), Orage de Strindberg (2013, repris au Théâtre de la Tempête) et Dom Juan revient de guerre de son auteur fétiche Ödön von Horváth (2014) repris au Théâtre de l’Athénée en avril 2015.
Au sortir, du Centre dramatique national des Alpes, il crée la compagnie L’Aurore boréale et met en scène Medealand de Sara Stridsberg à la MC2 : Grenoble et au Studio-théâtre de Vitry puis L’Avare de Molière (création au Théâtre de Suresnes et tournée à l’automne 2015) suivi de Bérénice de Racine (création 2017, tournée).
Au festival d’Avignon 2017, Jacques Osinski dirige Denis Lavant dans Cap au pire de Samuel Beckett au théâtre des Halles puis à L’Athénée-Théâtre Louis Jouvet à Paris (tournée 2018-2019). À l’automne, il crée à Nanterre-Amandier Lenz de Georg Büchner avec Johan Leysen (tournée Comédie de Reims, KVS, NTGent…).
En 2019, il poursuit son aventure avec Denis Lavant sur l’œuvre de Samuel Beckett : La Dernière bande créé au Théâtre des Halles dans le cadre du Festival d’Avignon 19 puis repris à l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet en novembre, tournée au niveau national et international en 2020. Ce compagnonnage se poursuit en 2021 avec la création de L’Image puis en 2022 de Fin de partie (Théâtre des Halles, Théâtres de l’Atelier, reprise dans ce même théâtre en juin-juillet 2024…).
À l’opéra, il met en scène en 2006 Didon et Enée de Purcell sous la direction musicale de Kenneth Weiss au Festival d’Aix-en-Provence. En 2007, il y reçoit le prix Gabriel Dussurget. Vinrent ensuite Le Carnaval et la Folie d’André-Cardinal Destouches sous la direction musicale d’Hervé Niquet créé au Festival d’Ambronay et repris à l’Opéra-Comique puis Iolanta de Tchaïkovski sous la direction musicale de Tugan Sokhiev au Théâtre du Capitole à Toulouse (2010). À l’automne 2013, il crée avec Marc Minkowski et Jean-Claude Gallotta à la MC2 : Grenoble Histoire du soldat d’Igor Stravinsky et El amor brujo de Manuel de Falla, production reprise à l’Opéra – Comique en avril 2014. En mai 2014, il met en scène Tancredi de Rossini au Théâtre des Champs-Elysées puis, en 2015, Iphigénie en Tauride de Glück (direction musicale Geoffroy Jourdain) pour l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris ainsi que Lohengrin de Salvatore Sciarrino et Avenida de los incas de Fernando Fiszbein avec l’ensemble musical Le Balcon (direction musicale Maxime Pascal) au Théâtre de l’Athénée, spectacle qui reçoit le prix de la critique pour les éléments scénique (Hélène Kritikos et Yann Chapotel).
À la rentrée 2018, il met en scène Le Cas Jeckyll de François Paris et Christine Montalbetti (création Arcal) puis, au printemps 2019, à l’Athénée puis à l’Opéra de Lille Into the Little Hill de George Benjamin et Martin Crimp, sous la direction musicale d’Alphonse Cemin (ensemble Carabanchel).
En 2021, il collabore pour la première fois avec Benjamin Lévy à la direction musicale pour les Sept péchés capitaux de Bertolt Brecht (Athénée Théâtre Louis Jouvet-Théâtre de Caen). Il retrouve ensuite l’ensemble Le Balcon (direction musicale Alphonse Cemin) pour mettre en scène à l’Athénée et à l’ENS-Paris Saclay Words and Music de Samuel Beckett sur une musique de Pedro Garcia Velasquez.
En mars 2022, il met en scène Cosmos de Fernando Fiszbein à la Biennale des musiques exploratoires de Lyon-Théâtre de la Renaissance.
En 2023, il met en scène Violet de Tom Coult et Alice Birch sous la direction musicale de Bianca Chillemi (Scène de recherche ENS-Saclay, Festival Bruit- la vie brève – théâtre de l’Aquarium). Cette même année, il reçoit le prix Laurent Terzieff du Syndicat de la critique pour Fin de partie au Théâtre de l’Atelier.