Nommé aux Molières 2022 pour son interprétation dans cette adaptation magistrale de Daniel Benoin, Michel Boujenah nous régale. Il donne à L’Avare la dimension d’une grandeur tragique où petitesse et pingrerie sont drôles dans les furies et l’excès des manies, inquiétantes et cauchemardesques dans le dérèglement d’un pouvoir absolu.
Tarif spécial à 4 € de 19h à 2h les soirs de représentation au parking Q-Park Liberté, place de la Liberté en réservant ici.
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Harpagon, le père, veut marier son fils Cléante à une riche veuve, et sa fille Élise à un homme mûr très riche. Mais les deux enfants ont d’autres projets amoureux et il faudra bien des luttes et des manigances, l’intelligence d’un valet, La Flèche, et d’une servante, Frosine, pour déjouer les plans du paternel tyran. Tout en nuances dans ce personnage qui étouffe sa vie dans la crainte de la mort, Michel Boujenah est un Harpagon presque touchant. Les persiennes des jalousies laissent passer des raies de lumière blême, les hautes portes s’ouvrent sur la neige qui tombe drue. C’est l’hiver sur la ville et dans le cœur glacé de ceux que l’argent durcit, sur ces rapports humains que seul le profit motive. Même si tous les personnages sont bien vêtus de costumes XVIIe, toute ressemblance avec notre époque n’est peut-être pas fortuite… Harpagon est fou, c’est certain, mais sa solitude est un abîme; c’est un homme, en somme, et la farce se teinte de mélancolie, de métaphysique et d’universalité.
Texte Molière
Mise en scène Daniel Benoin
Avec Michel Boujenah — Harpagon
Bruno Andrieux — La Flèche / Anselme
Noémie Bianco — Mariane
Antonin Chalon — Cléante
Maxime Bouteraon — Valère
Paul Charieras — Maître Jacques
Sophie Gourdin — Frosine
Fabien Houssaye — Le Commissaire / Brindavoine
Julien Nacache — La Merluche
Mélissa Prat — Elise
Kelly Rolfo — Le Capitaine
Décors Jean-Pierre Laporte
Costumes Nathalie Bérard-Benoin
Lumières Daniel Benoin
Vidéo Paulo Correia
Assistanat à la mise en scène Kelly Rolfo
Régie générale Laurent Deconte
Régie plateau Aurélien Morice et Charles Degeneve
Habilleuse Noémie Balayre
Maquilleuse Anne Kuntz
Production MARILU Production
Coproduction DBP / Théâtre des Variétés
Photos © Philip Ducap
Texte © François Rodinson
On se dit que voilà une mise en scène intelligente, qui ne sollicite pas outre mesure les vains plaisirs de la « relecture », sans toutefois se priver, ici ou là, de clins d’yeux malins au goût du jour. Benoin suit la donne classique, sans l’adorner d’un trop de petites trouvailles énervantes. Son travail fait penser aux leçons de Planchon, celui d’avant, qui rajeunit notre vision de Molière sans encore l’égarer sur des chemins de traverse. Jean-Pierre Léonardini — L’Humanité
Comment être surpris par un Avare de plus ? Celui-là émerveille. Il arrive parfois que le théâtre soit inspiré. Le Canard Enchainé
Daniel Benoin révèle l’humanité grinçante de cette cruelle histoire, où la fougue de la jeunesse ravive un monde abîmé par l’avarice. Avec un remarquable Michel Boujenah. Agnès Santi — La terrasse
Une pièce d’une étonnante modernité, psychologiquement fascinante. L’histoire de L’Avare, comme de toutes les autres grandes œuvres de Molière, est l’histoire d’une passion effrénée, sinon folle, qui finit par troubler l’ordre social. À l’inverse de Dom Juan qui existe dans la dépense, il s’agit là d’une passion de la restriction, du retour vers soi, de la retenue, du revenu. Harpagon, pour qui tous les moyens de lutter contre la mort sont bons, cherche avidement ce qui lui semble éternel – l’argent – et ce qui peut lui insuffler une nouvelle vie, la jeunesse de Mariane… L’or, à l’évidence, ne pouvait assouvir sa faim ; extérieur à lui, il ne pouvait que vouer Harpagon à l’échec et à l’angoisse. Et cet échec a vraiment débuté lorsqu’Harpagon, fasciné par Mariane, comme Arnolphe par Agnès ou Alceste par Célimène, a commencé à désirer passionnément celle qui pourrait être sa petite fille… Alors, tout va se dérégler, les rôles vont s’inverser, les fils vont prendre le pouvoir, les valets trouveront l’or caché et l’avidité d’Harpagon deviendra l’avarice.
Daniel Benoin
Depuis La Cantatrice Chauve de Ionesco en 2006, vous avez exclusivement mis en scène des auteurs contemporains. Pourquoi revenir maintenant à une œuvre et un auteur classiques ?
Daniel Benoin — J’ai toujours pensé que le théâtre était fait avant tout pour mettre en lumière les auteurs contemporains, celui qui est en train de s’écrire en prenant en compte la réalité d’aujourd’hui. Cela permet au théâtre d’être alors un reflet supplémentaire à la société. En même temps, il est certain que le théâtre classique représente un point d’origine, une base de travail absolument nécessaire. C’est donc assez naturellement que je retourne régulièrement vers ce théâtre classique. Il y a néanmoins des auteurs que je ne veux pas ou ne sais pas monter. Molière est un auteur que j’ai appris à apprivoiser au cours de mes différentes mises en scène, il me semble que je le comprends assez bien – au même titre que Shakespeare.
Quelle résonnance a Molière et son œuvre à l’époque actuelle ?
D. B. — Contrairement à ce que certains écrivains peuvent avancer, je pense qu’il y a une véritable relation entre l’œuvre de Molière et la manière dont il a vécu les dernières années de sa vie. Cela fait également écho à des préoccupations très actuelles. Je pense notamment à L’École des femmes, L’Avare, Le Misanthrope. Il y a toujours une histoire d’homme vieux ou d’homme adulte influent qui tombe amoureux d’une très jeune fille, tel que Molière l’était d’Armande Béjart. Cet aspect, au-delà d’être un sujet absolument essentiel en 2019, permet aussi de s’affranchir du caractère uniquement comique des pièces de Molière et de découvrir leur richesse – d’un point de vue social et psychologique.
Mon rôle en tant que metteur en scène est donc d’apporter une lecture nouvelle et contemporaine à cette pièce : celle d’un homme ayant 450 ans de plus que Molière. 450 ans d’Histoire, d’avancées scientifiques et sociales, d’évolutions culturelles. Il y a quelque chose de passionnant dans cet exercice !
Vous aviez créé une première fois L’Avare en 2001 à la Comédie de Saint-Etienne. Quelles évolutions souhaitez-vous apporter dans cette nouvelle version ?
D. B. — J’avais déjà créé la pièce en Suède et en Allemagne avant de la monter en France, ce qui m’avait beaucoup apporté. Quand j’ai monté L’Avare à la Comédie de Saint-Etienne, il s’agissait déjà d’un retour au théâtre classique et à Molière. En ce moment-même à anthéa, nous sommes en création et les évolutions de cette nouvelle version apparaissent tous les jours. C’est le résultat de ma propre évolution : si j’ai 450 ans de plus que Molière, j’ai également évolué de vingt ans par rapport à ma dernière mise en scène de la pièce en 2001.
Je considère que le rôle du metteur en scène est de regarder le monde autour du lui et de le donner à voir aux spectateurs. Aujourd’hui, ma lecture du monde et de la pièce est en train de se construire et je ne sais pas encore à quoi cela ressemblera. Par exemple, je ne sais pas encore si j’userai de vidéo comme dans mes derniers spectacles. La question se pose car il n’y avait pas de vidéo en 2001 mais qu’elle fait désormais partie intégrante du spectacle vivant.
Votre distribution rassemble des artistes locaux et nationaux. Comment avez-vous construit ce casting ?
D. B. — Il y a beaucoup de personnages dans la pièce de Molière, je les ai néanmoins réduit à dix pour plusieurs raisons. D’abord, pour répondre à la pénurie réelle de moyens au théâtre – bien que dix comédiens soit déjà un chiffre conséquent. J’ai fait appel à des comédiens locaux que je connais très bien, que j’ai formés, mais aussi des comédiens que je n’avais jamais dirigés et dont le travail m’intéressait. J’ai également fait appel à Michel Boujenah pour une troisième collaboration, ce qui fait de lui un habitué de la troupe.
Quel Harpagon campera Michel Boujenah ?
D. B. — Un Harpagon complexe, tiraillé entre avidité et avarice. Harpagon est avide d’argent et de la femme jusqu’à confondre la volonté de posséder de l’argent et une femme qui se trouve être Mariane. Il y a donc une confusion progressive entre l’avoir et l’être. Harpagon va croire perdre son être en perdant l’argent et Mariane. C’est un personnage très complexe qui passionne aussi Michel Boujenah.
À quelle époque et dans quel lieu se déroule la pièce ?
D. B. — Je souhaite contextualiser la pièce dans la réalité de l’auteur, soit au XIIe siècle. J’ai cependant choisi de l’ancrer dans la fin du siècle car les costumes y sont plus intéressants. Les habits sont moins engoncés, plus élégants.
D’autre part, la pièce se passe en hiver. La neige et le froid règnent sur l’ensemble du décor sauf dans la maison d’Harpagon. Les spectateurs pourront voir apparaitre le salon vide de cette maison près d’une vieille maison où personne ne vit vraiment excepté lui.
Le texte comporte des didascalies ainsi que des indications très précises. Quel traitement avez-vous fait de ces indications ?
D. B. — Dans toutes les pièces que je monte, je raye les didascalies. Evidemment, il y a des auteurs tels que Samuel Beckett ou Marie Laberge pour qui les didascalies sont indissociables des dialogues qu’ils écrivent. Certaines didascalies définissent d’ailleurs entièrement les situations, parfois magnifiques. Pour ma part, cependant, je ne souhaite pas m’y attacher. Je préfère laisser mon imaginaire faire sa propre lecture de la pièce plutôt que de me limiter uniquement à celle de Molière ou d’un autre auteur. Je veux essayer d’être libre par rapport à ces indications.
Après des études commerciales à HEC de 1967 à 1970 et un doctorat en sciences de la gestion des entreprises en 1972, Daniel Benoin se dirige vers la comédie. Dès 1965, il incarne au théâtre des personnages de Brecht et Bûchner. À présent, il est surtout connu pour ses mises en scène, très nombreuses, Lucrèce Borgia de Victor Hugo, Variations Goldberg de George Tabori, Manque (Crave) de Sarah Kane, Misery d’après Stephen King ou Festen d’après le film de Thomas Vinterberg. Par ailleurs, Daniel Benoin travaille régulièrement à l’étranger : Nabucco de Verdi en Corée du sud, Les Troyennes de Sénèque à Séville, L’Avare à Stockholm et Don Juan à Anvers.
Depuis 2002, le metteur en scène est directeur du théâtre de Nice tout en assumant diverses fonctions officielles au sein d’organismes pour la promotion de la création théâtrale. Outre ces diverses responsabilités, le comédien trouve le temps d’apparaître sur grand écran, dans Blanche de Bernie Bonvoisin en 2002 et dans Fauteuils d’orchestre de Danièle Thompson en 2006. Également écrivain et traducteur, Daniel Benoin a publié plusieurs ouvrages, dont une pièce en trois actes intitulée Sigmaringen. En 2012, il présente au théâtre national de Nice puis au théâtre Marigny à Paris son adaptation française et théâtrale du film Whatever works de Woody Allen. Véritable homme-orchestre, il est sur tous les fronts de la création théâtrale. En 2019, il crée le festival CinéRoman à Nice, en codirection avec sa femme.
Michel Boujenah est né le 2 novembre 1952 à Tunis. Fils de médecin, il grandit en Tunisie entouré de ses trois frères Yves, Jean-Louis et Paul. Il a 11 ans lorsque la famille s’installe en France, en région parisienne. À 15 ans, son imagination débordante lui permet d’intégrer L’École alsacienne à Paris. Avec un camarade de classe il bricole un journal baptisé l’Hebdromadaire. L’adolescent se découvre un don de conteur lors des exposés présentés en cours. Il décide alors d’intégrer le cours de théâtre dispensé par l’établissement. Conforté dans son choix, il passe le concours d’entrée l’École d’art dramatique du Théâtre National de Strasbourg. Malheureusement recalé, il crée au début des années 70, avec deux amis, sa propre compagnie de théâtre La Grande Cuillère.
La joyeuse troupe écrit et met en scène des spectacles et invite également des amateurs à les rejoindre sur scène. Michel Boujenah interprète également ses propres textes dans les cafés-théâtres parisiens. En 1980, il se lance et monte son premier one-man show, Albert, au théâtre du Lucernaire à Paris. Très autobiographique, son spectacle raconte le quotidien des juifs tunisiens immigrés en France. Le succès rencontré lui permet d’enchaîner avec un nouveau spectacle dès l’année suivante, mais malheureusement l’accueil du public est plus mitigé pour Anatole. Il renoue avec le succès en 1984, avec le spectacle Les magnifiques, galerie de portraits de juifs tunisiens, son thème de prédilection. En 2004, il retrouve avec plaisir ces personnages attachants et crée la suite avec Les nouveaux magnifiques. Homme de scène, il accepte de devenir le directeur du Festival de Ramatuelle en 2007, et succède ainsi à Jean-Claude Brialy, son fondateur. En 2013, l’humoriste triomphe à nouveau avec son spectacle Ma vie rêvée. Parallèlement, Michel Boujenah fait ses débuts d’acteur dans Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour avoir une femme qui boit dans les cafés avec les hommes? de Jan Saint-Hamont puis devant la caméra de son frère Paul Boujenah, dans Fais gaffe à la gaffe! en 1981. Après quelques rôles de second plan, Coline Serreau lui confie un des rôles principaux dans Trois hommes et un couffin aux côtés d’André Dussolier et Roland Giraud en 1985. Sa prestation lui permet de décrocher le César du Meilleur acteur dans un second rôle. Il tourne à nouveau sous la direction de son frère en 1989 dans Moitié-moitié et collabore avec des réalisateurs prestigieux comme Claude Zidi (La Totale!), Claude Lelouch (Les Misérables), ou encore Ariel Zeitoun (Le nombril du monde). En 2003, il scelle ses retrouvailles avec Coline Serreau pour 18 ans après, la suite de Trois hommes et un couffin. La même année, il endosse une nouvelle casquette, celle de réalisateur avec son premier long-métrage, Père et fils. Après Trois amis en 2007, il récidive en 2015 avec le tournage de son nouveau film intitulé Cœur en braille.