Nous sommes en 2026. Catastrophes écologiques, sanitaires et sociales, ont altéré la terre, l’humanité, la vie même. En temps de survie a-t-on encore besoin de poésie, de beauté, de sensibilité ?
Des femmes se sont réunies pour faire entendre le poème de l’insoumission et de l’espoir absolu. Comme le monde – qui ne tourne plus très rond – le théâtre est en ruines. Pour l’électricité, il faut pédaler. Dans un moment de silence suspendu, une femme apparaît, silhouette presque impalpable et pourtant pleine d’énergie. Un spectre ? Aidera-t-elle à trouver une issue pour ce groupe reclus, coincé là par les cataclysmes, les pollutions et les virus ? Les personnages de Péguy apparaissent à sa suite et délivrent les paroles de Jeannette, l’écorchée vive, celle qui ne se résigne pas au mensonge, au cynisme, au déni, et invite au combat. Dans l’urgence de la conscience, faire entendre une vibration de l’âme est un acte salvateur pour conjurer les gâchis mortifères. Loin d’être désabusées, ces femmes, dans un mouvement d’une grande vitalité, soutenues par une tendresse amusée qui fuit l’abdication, nous font entrevoir une promesse de légèreté.
Qu’est-ce que dit Vivre ! à l’heure des catastrophes ? Comment parle-t-on de la cohabitation entre vivre et mourir ?
Frédéric Fisbach — L’idée de ce spectacle m’est venue alors que ma mère, atteinte d’un cancer, risquait de mourir. Ça m’a incité à me poser quelques questions toutes simples : Qu’est ce qui fait qu’on a envie de se lever le matin ? Comment fait-on pour vivre ? Qu’est-ce qu’on espère de la vie quand on sait qu’on va mourir ? Qu’est-ce qu’on attend de l’existence ? La présence de la mort nous oblige à nous poser la question du sens de la vie. Ça ne peut pas être la répétition du même schéma, la recherche du confort et de la sécurité, ça ne peut pas être que ça. Où va-t-on chercher la joie, la vitalité pour continuer, créer du lien, des relations, créer des choses, partager ? Le soin vient avec la conscience de la fragilité de l’autre. Et de la sienne propre. C’est aussi simple que ça. On a vu qu’un tout petit virus peut nous obliger à prendre conscience de notre impermanence, à repenser la question de notre fragilité, de notre humanité.
Que signifie ce point d’exclamation après Vivre ! ?
F. F. Ce n’est pas une injonction… Je ne sais pas si on peut vouloir les choses ou si elles arrivent malgré tout… Il y a plutôt une colère. Celle présente dans le texte de Péguy, la colère de Jeanne qui est presque une rage. Cette rage pourrait se rapprocher de la rage de Greta Thunberg : « Ouvrez les yeux ! Regardez ce qu’il se passe, réagissez ! Ce n’est pas si compliqué, il faut arrêter ou alors c’est du suicide à court ou à moyen terme pour toute l’humanité ! » Ce point d’exclamation est le signe de l’élan qui m’a poussé, au tout début, à vouloir ce spectacle.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce texte de Péguy, Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc ?
F. F. C’est une pièce géniale, un poème dramatique où Jeanne dit qu’elle ne supporte pas que la guerre soit partout, que la misère règne. C’est écrit dans une langue sublime, absolument hallucinante. C’est très rugueux, entêtant, minéral, c’est de la terre et des cailloux. C’est un texte très étonnant d’un grand auteur mal connu. Et puis, ce qui est très singulier, c’est que la parole est donnée principalement à des enfants, c’est rare. Jeanne a treize ans et sa copine en a dix. Il y a quelque chose de très émouvant dans leur conscience aiguë des choses, dans ce regard porté sur le monde par des enfants.
Pourquoi placer l’action de votre spectacle en 2026 ?
F. F. Cette légère anticipation a pour moi quelque chose de ludique. C’est joueur, ça libère. C’est dans peu de temps mais on voit bien qu’en six ans il peut se passer beaucoup de choses…
D’après Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy
Adaptation et dramaturgie Charlotte Farcet et Frédéric Fisbach
Mise en scène Frédéric Fisbach
Avec Madalina Constantin, Marie Payen, Pascal Rénéric et Stéphanie Schwartzbrod
Avec la participation de Silvana Martino
Assistanat à la mise en scène Benoît Résillot
Scénographie et costumes Charles Chauvet
Création lumière Léa Maris
Création son Rémi Billardon
Vidéo Victor Iglich
Production Ensemble Atopique II
Coproduction Châteauvallon-Liberté, scène nationale / La Colline – théâtre national / Théâtre Montansier, Versailles / Pôle arts de la Scène, la Friche la Belle de Mai
Avec le soutien de la Spedidam
La compagnie Ensemble Atopique II est conventionnée par le ministère de la Culture DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur
Administration, production et diffusion En Votre Compagnie
Photos © Tuong Vi
Texte © François Rodinson