Deuxième volet d’une trilogie créée à partir de récits de militants et d’anciens prisonniers du régime syrien, portés au plateau par les protagonistes eux-mêmes et des acteurs professionnels. Le metteur en scène franco-syrien, Ramzi Choukair, porte haut leurs voix pour décrypter un système qui surveille et punit, dressant les Syriens les uns contre les autres et maniant la terreur comme instrument privilégié du pouvoir.
Jeudi 19 janvier 2023 — 19h10
Réservation conseillée et possible jusqu’à la veille du spectacle par téléphone au 09 800 840 40
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Les six interprètes au plateau ne sont pas tous syriens et sont rattachés à différents groupes ethniques et confessionnels : turc, arménien, kurde, alaouite, juif, musulman. À l’instar des puissances coloniales qui l’ont précédé – ottomane, française – le régime syrien a œuvré pour entretenir la méfiance et la désunion entre les communautés. Il a façonné une société malade, l’a maintenue dans un état léthargique pour asseoir son pouvoir. Aucune imagination, même la plus fantasque, n’aurait pu imaginer le soulèvement de 2011. C’est pourtant un peuple syrien uni qui s’est dressé et a tenu tête au régime. Riyad, étudiant turc venu apprendre l’arabe à Damas, est accusé d’espionnage, et détenu durant vingt-et-un ans. À la manière des Mille et Une Nuits, son récit se mêle à ceux de témoins et survivants de la répression : Shevan, activiste de la révolution, Hend, opposante politique incarcérée dans les années 80, Saleh, musicien réfugié en Allemagne, Samar, comédienne syrienne emprisonnée pour avoir participé à un réseau d’aide aux blessés des manifestations, et Jamal, acteur qui vit encore aujourd’hui à Damas et dont le frère a été incarcéré sous Assad fils. À travers une plongée dans leurs histoires singulières, Y-Saidnaya laisse apparaître les rouages de l’organisation politique militaire et confessionnelle installée dans le pays depuis des décennies.
Texte et mise en scène Ramzi Choukair
Avec Hend Alkahwaji, Riyad Avlar, Jamal Chkair, Samar Kokach, Shevan René Van der Lugt et Saleh Katbeh
Musique Saleh Katbeh
Conseil littéraire et surtitrage Céline Gradit
Création lumière Franck Besson
Régie générale Maria Hellberg
Production Kawaliss
Production de création Perseïden
Coproduction Bonlieu – Scène Nationale Annecy / La Villette – Paris / Fondazione Campania dei Festival- Napoli Teatro festival Italia / Espace Malraux – Scène Nationale Chambéry / Théâtre d’Arles.
Soutien AFAC (the Arab Fund for Art and Culture) / Département des Bouches-du-Rhône-Centre départemental de création en résidence / DRAC PACA / Fondation Abbé Pierre / Institut Français de Naples / Région PACA.
Accueil en résidence Le Zef – Scène Nationale Marseille / Domaine de l’Etang des Aulnes, La Villette – Paris / Bonlieu – Scène Nationale Annecy / Théâtre du Bois de l’Aune / Teatro Bellini Napoli.
Photos © Salvatore Pastore
Texte © DR
Ce spectacle n’en est pas vraiment un, tant il touche à une histoire proche, remue l’intime, et se passe des artifices d’une dramaturgie enrobant le propos, mais livre dans sa nudité bouleversante réalité vécue. Zibeline
Riyad, Shevan, Hend, Alaa, Jamal, chacun de ces récits individuels ouvre sur un autre, sur des centaines, des milliers d’autres. Télérama
Comment pensez-vous que l’art peut agir face à la dictature ? Que peut le théâtre pour faire bouger les lignes, faire évoluer la société ?
Ramzi Choukair — L’art, c’est la politique même. Tout dépend du sujet que l’on traite, évidemment. On fait toujours des choix. Comme partout dans le monde, on peut faire simplement du commerce et se laver les mains de l’état des choses. Ou bien alors on peut parler de ce qui nous touche, de ce qui nous révolte, de ce qui nous paraît injuste et de ce que l’on voudrait changer pour une société meilleure. Je considère l’art comme faisant partie intégrante de la société. Il est dedans, pas dehors ni à côté. Je suis dans la société, je crée dans la société, je dialogue avec la société et je souhaite que cette société réagisse. Oui, bien sûr, pour moi l’art EST politique. Dans vos spectacles vous mêlez différents matériaux, documentaires ou fictionnels, des acteurs professionnels avec des personnes ayant réellement souffert de la répression en Syrie.
Comment articulez-vous ces éléments ?
R. C. — C’est mon travail de metteur en scène et d’auteur de mettre tout cela en perspective. Je recherche une profondeur que l’on ne percevrait peut-être pas dans le récit brut. Les personnes ayant vécu la prison ou la torture ne parviennent pas forcément à raconter leur histoire, à exprimer leurs sentiments. Par le truchement de l’écriture et du théâtre, il est possible d’atteindre l’intime et la complexité. Quand, par exemple, je raconte l’histoire de Fadwa, je recherche pourquoi son frère est devenu son bourreau. Mais je découvre aussi en travaillant avec elle que ce bourreau, son frère, a protégé sa sœur. Bien sûr, j’ai un regard critique sur le fait que celui-ci ait fait le choix de s’engager dans les Renseignements syriens. Le régime a produit une société malade et les bourreaux sont une des manifestations du système dont tous les Syriens sont prisonniers. Ce constat ne dédouane bien sûr pas les bourreaux de leur responsabilité et de la nécessité d’être jugés. L’un des protagonistes du spectacle, Riyad, est un prisonnier turc qui a passé vingt-et-un ans en prison, en Syrie. Là, il a entendu parler de ce bourreau qui a emprisonné sa propre soeur. Ensuite, il se trouve que ces deux-là, Riyad et Fadwa, se rencontrent dans un café, aux Pays-Bas, car ils sont tous les deux engagés dans des associations de défense des Droits de l’homme. Fadwa demande à Riyad : « Qui était ton bourreau, en Syrie ? » Il lui répond : « Ce fils de pute s’appelle Adnan Mahmood ! ». Et elle lui dit : « Tiens, c’est mon frère… ». C’est cette imbrication qui m’intéresse, ces liens, ces correspondances, cette ironie de l’histoire. Ça nourrit la fiction et pourtant c’est la réalité. Une histoire conduit à une autre, tout est imbriqué, comme dans les Mille et Une Nuits… Comme ce fait bien réel lui aussi qui pourrait être une fiction : un bourreau nazi, Aloïs Brunner, se réfugie en Syrie, après la Seconde Guerre mondiale et sert de professeur de torture aux Renseignements syriens. Plus tard, un bourreau syrien s’enfuit en Allemagne, y est arrêté et jugé…
Pensez-vous pouvoir jouer, un jour, vos spectacles en Syrie ?
R. C. — Pour l’instant, c’est rigoureusement impossible. Les seules activités culturelles qui ont droit de cité actuellement sont réalisées par des proches du pouvoir. Vous savez, il n’y a pas de presse libre en Syrie depuis 50 ans ! Mais la dictature n’est malheureusement pas une exclusivité syrienne. C’est un système qui se déploie dans bien des pays. Il y a des différences culturelles, c’est tout. Comme tous les Syriens, lorsque j’ai regardé aux informations les préparatifs de Poutine contre les Ukrainiens, j’ai compris qu’il allait bombarder les hôpitaux et les routes, qu’il allait briser l’Humanité. Je ne dis pas ça parce que je suis un magicien ou parce que je lis l’avenir mais tout simplement parce que lorsque j’étais en Syrie, j’ai vu ce qu’il a fait. Les dictateurs vont là où ils trouvent leur intérêt. Tant que ce sont les intérêts financiers qui gouvernent le monde, la dictature n’est pas loin. Et l’Occident n’est pas innocent.
Propos recueillis par François Rodinson en mars 2022
Comédien et metteur en scène de nationalité franco-syrienne, Ramzi Choukair est né le 12 juin 1971 à Beyrouth au Liban. Il vit actuellement à Marseille. Il est diplômé de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique de Damas (section jeu). En 2001, il obtient un D.E.A. d’Art du spectacle à Paris VIII.
En 2010, dans la continuité de précédentes collaborations avec le théâtre Jean-Vilar de Vitry sur Seine, il créé le festival Al Wassl plateforme / Arts Méditerranée. De 2011 à 2013, il intervient comme conseiller artistique sur le projet des dramaturgies arabes contemporaines de la Friche la Belle de Mai à Marseille.
Al-Zîr Sâlem et le Prince Hamlet, qu’il adapte à partir de deux textes, l’un oriental, l’autre occidental, est sa première mise en scène. Le spectacle est créé et joué au cours de la saison 2002-2003 au Palais al-Azem de Damas et en 2005 à l’Opéra de Damas ainsi qu’au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine, puis à Amman, Alep et Dubaï entre 2005 et 2007. En 2007, il adapte deux textes d’Aristophane et crée L’assemblée des femmes avec des acteurs masculins et un chœur d’interprètes sourds-muets au Théâtre National Al Hamra de Damas. Le spectacle est présenté l’année suivante à Damas et au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine. En 2018, il créé X-Adra à la Filature – Scène Nationale de Mulhouse avec six anciennes détenues politiques syriennes. La tournée se poursuit en 2018 et 2019 avec 13 représentations en Allemagne, en France, au Royaume Uni et aux Pays-Bas.
Comme comédien, il joue aussi bien en Syrie qu’à l’international. Dans le spectacle monté à partir de l’épopée de Gilgamesh, Gilgamesh, mis en scène par Pascal Rambert à la Citadelle de Damas en 1998 et repris au festival d’Avignon en 2000. En 2009-2010, il joue dans Hiroshima mon amour, mis en scène par Julien Bouffier. En 2011, il travaille sous la direction de Tim Suppl dans Mille et une nuits, spectacle en tournée internationale en 2013.
Plus récemment, il est acteur dans Anéantis de Sarah Kane sous la direction de Myriam Muller (2018), dans The Factory de Mohamad Al Attar, mis en scène par Omar Abu Saada (2018). En 2016 il obtient le « Prix Helen Hayes du meilleur acteur » pour le rôle de Jean-Baptiste dans Salomé, mis en scène par Yaël Farber et créé à Washington en novembre 2015. Le spectacle est recréé en mai 2017 au National Theatre de Londres.
Il est également acteur de cinéma, en 2016 dans Arwad de Samer Najari et Dominique Chila (Canada), film présenté en compétition officielle dans plusieurs festivals, notamment à Montréal, Rotterdam, Carthage, ainsi qu’à New York, en Afrique du Sud, en Pologne, en Turquie, en Jordanie et en Finlande. En 2020, il joue le rôle de Sultan Al-Atrash dans From the Mountain, réalisé par Faisal Attrache (USA). Il joue également dans La fracture, de Catherine Corsini, en compétition officielle au Festival de Cannes 2021. En 2022, on le verra à l’affiche de La conspiration du Caire, réalisé par Tarik Saleh (Suède). Pour la télévision, il joue dans les saisons 2 et 3 du Bureau des légendes (2016/2017).